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La plume de l'hirondelle
6 juillet 2016

Portrait d'une mère

Ma mère est un tout petit bout de femme, elle frôle à peine les 1 m50, elle a le visage marqué par la vie, marqué par la souffrance. Les yeux fatigués, d'un bleu profond, et le sourire qui emmure tant de détresse...
Elle n'est pas née sous une bonne étoile, 4eme fille d'une fratrie de 5 enfants. Et puis sa 3eme sœur décède suite à un tragique accident de la route, elle venait d'avoir 4ans. Fille d'un père alcoolique, qui violente sa petite sœur. Juste elle. Bizarrement...

Ma mère me racontait parfois qu'elle allait libérer sa sœur, pendue par les pieds au grenier, la tête rouge prête à exploser. Et qu'elle entendait son père dans la cuisine se servir un énième verre de wisky, pestant contre cette dernière petite fille qu'il n'avait pas désiré.

Elle a grandi ainsi, au milieu des cris et de la misère, sans manger à sa faim. Tellement peu nourri qu'elle en était rachitique. Son père était menuisier de métier, mais il était souvent trop ivre pour travailler, et sa mère tenait tant bien que mal le foyer, valsant entre ses 4 filles, sa maison et son mari violent. Il y avait autant d'amour que de haine, autant de rires enfantins que de cris de terreurs. Et c’était son quotidien.
Et puis il y a eu mon père, l'espoir d'une nouvelle vie et d'un nouveau départ. C’était un beau garçon, engagé dans la marine, des rêves qui débordaient de sa tête à n'en plus finir. Sa vie c’était les voyages, les copains et la liberté... Et puis l'amour s'est planté là, à ses pieds, tombant fou amoureux de ma mère. Lorsqu'il a été muté à Toulon, dans le Var, ils sont partis à deux quittant la belle Bretagne, n'imaginant pas qu'ils y construiraient leur vie de famille. Et pourtant, pour être sûre de pouvoir rester l'un avec l'autre ils se sont mariés, puis ma mère met au monde un petit garçon, Julien. Puis une petite fille, Pauline. Et un petit troisième pour clôturer le tout, de nouveau un garçon, Vincent. Il me semble qu'à cette époque elle était épanouie, en tout cas c'est ce qu'elle semble dire. Des années de bonheur où ils ont été insouscients, dévorant la vie, le bonheur et l'amour à pleines dents.
Et puis il y a eu ce premier drame, un peu tabou et surtout encore tellement douloureux. Vincent avait 10 mois, un poupon tout rond, souriant et en pleine santé. Un petit glouton qui ne manque jamais un repas, jamais un biberon. Il était environ 17h30 et bizarrement il n'avait pas réclamé son biberon de 16h00. Rien de terriblement inquiétant …
Ma mère retrouvera pourtant son petit corps inerte, endormi paisiblement dans son petit berceau. Seule face à l'horreur, elle essayera de le réveiller en canalisant les cris des aînés... Un des pompiers qui interviendra essayera de le réanimer, en vain. Mort subite du nourrisson. Il n'y a pas de raisons, pas de causes, on explique pas ces décès de bébés inattendus qui surviennent sans aucunes causes détectables. Comment accepter ? Il était en bonne santé, plein de vie, et sans aucunes raisons on vous annonce qu'il est mort. C'est incompréhensible.

Elle conservera de ce bébé parti trop tôt des vêtements, des photos, des peluches. Elle s'y accrochera tant bien que mal, et elle écrira sur sa tombe « Mon petit ange Vincent est venu et reparti le temps d'un sourire», et chaque année nous allions lire ces quelques mots au milieu de ce vaste cimetière. J'y voyais une formidable occasion de faire un cache-cache géant, loin des tourments de la mort, c’était pour moi un terrain de jeux comme un autre... Je riais entre les tombes pendant que ma mère sanglotait devant celle de mon frère.
Suite au décès de Vincent ma mère tombera dans une profonde dépression, qu'elle n'arrivera jamais à remonter. Un médecin lui conseille de faire un autre enfant parce que " si vous n'en refaites pas un rapidement vous n'en referai pas d'autres". Alors dans la douleur et le drame du moment elle tombera de nouveau enceinte, seulement 3 mois après la disparition de mon frère.

Je suis ce bébé là, à la fois désiré mais pas vraiment. Et lorsque je suis née, ma mère me haïssait d'amour déjà. J’étais ce bébé joufflu qui prenait une place déjà occupée, celle d'un frère qui n'aurait jamais du mourir. J’étais son enfant, sa fille, et pourtant je lui rappelai chaque jour l'atrocité de ce jour où elle a secoué dans ses bras son bébé inerte. J’étais sa torture et son pied de nez à la vie à la fois. Débordante d'amour et de colère.

Durant mon enfance ma mère était un paradoxe à elle-même. Elle savait être douce et rassurante avec mon frère et ma sœur et dans la seconde qui suivait impassible et cruelle avec moi. Elle bordait puis embrassait Julien et Pauline comme si la nuit pouvait les séparer à tout jamais, et elle éteignait la lumière sans se préoccuper de savoir si j'avais froid, si j'avais mon doudou, si j'avais peur de ce silence et de cette pénombre glaciale. Et je m'y étais habitue, c'était le rituel du coucher et personne ne se demandait pourquoi moi je n'avais pas le droit a ce bisou magique qui me faisait tant rêver. C'était comme ça, elle nous aimait tous. Elle aimait tous, mais simplement différemment. 

Elle s'occupait de moi comme elle pouvait, engloutie dans sa dépression qu'elle ne parvenait pas à combattre. Elle avait parfois des gestes infiniment tendres, mais aussitôt rattrapés par des paroles d'une dureté sans nom. Elle pouvait passer des heures à coiffer mes cheveux blonds et bouclés, veillant à ne pas trop tirer sur mes nœuds et me répéter des dizaines de fois que j'avais les cheveux anormalement implantés sur mon crâne, qu'ils démarraient bien trop en avant sur mon front, que jamais je ne pourrai correctement coiffer « cette crinière de cheval dégueulasse» et que je serai la risée de tout les enfants au collège car un jour où l'autre mes cheveux toucheront mes sourcils et alors je ne ressemblerait définitivement à rien d'autre qu'une « boule de poil répugnante ». A cette époque je ne réalise pas que le mécanisme de maltraitance est déjà enclenché, il n'y avait pas de coups, pas de violence, elle me caressait le visage, me tenait la main, elle me nourrissait, me protégeait de certains dangers, elle était présente, c’était ma mère et je débordai d'amour pour elle. Je la pensai juste maladroite, en colère, dépassée par sa souffrance. Julien me rassurait souvent en me disant qu'elle ne savait juste pas dire combien elle m'aime. Et je le croyais, très fort.

La vie a suivit son cours malgré le poids de l'absence d'un fils et d'un frère. Maman luttait pour faire face à l'injustice de sa disparition, et chaque jour qui passait son dos se cambrait un peu plus et ses yeux se froissaient.

La dépression est un gouffre vicieux qui ricanera des années à son nez et elle se débattra sans fin avec... Le combat est difficile et jamais elle ne le gagnera.


Les années ont passées, et nous voilà en route vers le Vietnam suivant mon père tant que possible. Nous partons pour deux ans vivre a Ho chi minh, pleins cœur de ville, choc des cultures. On côtoie la pauvreté et la surpopulation. Nous sommes habitués à changer d'environnement, mon père étant régulièrement muté à l’étranger, mais cette fois c’était différent, on voyait des têtes de chiens exposés sur les marchés, on trébuchait sur des mains d'enfants qui buvaient l'eau des égouts, là où quelques mètres plus loin une femme lavait son ligne et où un autre urinait. Il y avait du bruit, sans cesse, de la circulation à ne plus savoir dans quel sens les voitures, les cyclos et les tuctuc allaient.. On jonglait dans une population dense, où nos cheveux blonds attiraient les regards et où l'on essayait de nous soustraire quelques sous... J'avais 6 ans. Et je me rappel encore du bruit assourdissant de la ville, de l'odeur et des visions d'enfants jouant dans les caniveaux. On circulait à pieds, parfois à vélo, ça faisait 8 mois qu'on s’était installés et on prenait nos marques. Ce jour là on partait au marché, Julien loin devant nous, du haut de ses 10 ans il pédalait si vite pour mes petites jambes de 6 ans... Pauline était restée près de moi pour ne pas me perdre. Je ne sais plus si on riait ou si l'on était concentrées à valser entre la circulation chaotique... Je ne me rappel a vrai dire plus de grand chose si ce n'est la couleur de mon vélo : il était bleu et un peu rouillé. Et puis la couleur du sien : vert et noir, avec une clochette qui lui servait de klaxon. Je me rappel de cette image incompréhensible où j'ai vu son vélo à terre sous un camion, et les cris des habitants. Je me rappel que ma sœur a cessé de pédaler, et que les bruits de panique ont semblé m’engouffrer.

Julien venait de se faire renverser, il décédera deux jours plus tard, nous laissant dans une détresse indomptable. A compter de ce jour le combat fut terminé pour ma mère, elle venait de perdre pied face au décès de son premier fils, et plus rien ne lui permettra dès lors de reprendre son souffle. Elle a sombré, dévastée par la colère et la tristesse. Je me rappellerai toujours de ses yeux vides ne contenant ni larmes ni émotions, un regard mort fixant le sol et de ses mots « c'est finit ». Personne ne m'a prise dans ses bras, ma mère a été d'un froid glaciale, on venait de me faire comprendre que j'avais perdu mon frère aîné, celui qui me murmurait chaque jour combien j’étais aimé malgré les apparences. Je me rappelle que j'ai eu terriblement peur, atrocement peur. Peur de mourir à mon tours, peur de le laisser derrière moi, peur de ne plus jamais me souvenir de son visage, de sa voix et de ses bras protecteur. J'ai pleuré ce jour là seule contre mon pouloupe, cette énorme peluche en forme d'ours qui a essuyé tant de mes larmes et de mes cris. Et c'est mon père qui est venu se pencher sur mes épaules d'enfant me murmurer que l'on devait être forts, forts pour ma mère, forts pour mes frères, forts pour lui. Se fut l'unique fois que j'ai pleuré la mort de mon frère, soucieuse de tenir la promesse faite à mon père. J'ai contenu des années de larmes, de rage, de questionnements, des années de culpabilité et de colère parce qu'il fallait être forte. Et pleurer c'est être si faible...

Il a été dit que j'aurai appelé Julien, tout en pédalant aussi vite que possible, qu'il se serait tourné et que c'est à cet instant que le camion aurait percuté mon frère. Je n'ai aucuns souvenirs de l'accident, je ne sais pas si c'est vrai ou non, je ne le saurai jamais. Ma mère n'en restait pas moins convaincu que tout était de ma faute : si je n'avais pas appelé mon frère il ne se serait pas retourné et il aurait éviter le véhicule responsable de sa mort. J'avais tué mon frère, et ma mère ne me le pardonnera jamais. Au contraire, elle me le fera payer toute mon enfance.

Chaque fois qu'elle se maintenait face à moi il y avait dans ses gestes toute sa souffrance, ses espoirs, ses colères et ses amours et Il y avait dans son regard toute sa solitude, sa détresse, sa force et ses faiblesses. C'était une mère meurtrie. C'est une mère meurtrie. Et le seul amour que je pouvais obtenir d'elle c'était sa haine. Elle m'aimait au point de me haïr. Et chaque fois qu'elle devenait lucide son visage, que dis-je, son corps tout entier s'effondrait dans une culpabilité si profonde que chaque fois elle tombait un peu plus bas, m'emmenant dans son effroyable chute. Il fallait que je souffre autant qu'elle, que je sache combien elle avait mal, combien je la faisais souffrir. Il fallait que je paye pour la disparition de mes frères, peu importe l'amour, peu importe la vérité. Me taper la soulageait.
Et moi j'acceptais juste son amour, aussi haineux était-il. Nous nous aimions. Nous nous aimerons toujours. Comme une mère qui n'a jamais su aime autrement sa fille, comme une fille qui n'a jamais connu une autre sorte d'amour.

Avant que Julien ne décède elle n'avait jamais abusé des coups. Comme n'importe quel gamin j'avais déjà eu des fessés parce que j'avais fait des conneries de gosses, mais ça n'était jamais aller plus loin. On ne peut pas dire qu'elle était tendre, mais au moins elle ne me battait pas. Tout était bon pour me rappeler combien j'étais vilaine, idiote, mal-aimée et maladroite mais il n'y avait pas de coups. Il y avait même des gestes tendres, des câlins et des marques d'affections. Je ne sais pas si ma mère me trouvait réellement laide, je ne sais pas si je l'étais mais quand je regarde les photos de moi enfant, avec ma bouille d'enfant de 4 ans, j'ai du mal à imaginer un regard autre que celui d'un adulte attendrit. Des boucles blondes, des yeux bleus rieurs, deux petites fossettes pleines de malices et un sourire inébranlable... 
- " j'aurai du t'appeler Lucie, tu sais comme la femme préhistorique qu'on a retrouvé, avec ton petit front, tes yeux rapprochés, tes joues trop larges ... " je me revois encore tenir ma fourchette et regarder les spaghettis s'y accrocher maladroitement. L'hilarité de toute la famille était contagieuse, et je souriais par défaut, légèrement, pendant que mes yeux débordaient de larmes. Et chaque fois que je souriais ma mère s'exclamait " ah Ben voila, t'as 4 joues, décidément on ne t'as pas bien réussi " Et je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que si je n'avais pas eu ce visage, peut-être qu'elle m'aimerait plus. Peut-être qu'elle m'aimerait tout court.

Ma mère c'est cette femme anéantie par le chagrin qui n'a trouvé pour refuge à sa peine que la violence.

Elle n'y peut rien, je n'y peux rien. C'était une mère endeuillée avant tout. Et j’étais cette enfant battue, qui acceptait les coups et les insultes, par compassion et par amour.

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